C'était à n'y rien comprendre. Un vide, un néant abyssal. J'ignorais qu'une vie puisse être ainsi chamboulée, en l'espace de quelques secondes macabres. J'ignorais qu'un destin pouvait se tracer aussi brusquement, comme par enchantement, ne laissant derrière lui que ruines et poussières. Il existait bon nombre de choses dont je n'avais conscience, malgré une imagination débordante. Sans m'vanter, je me considérais comme un scénariste infaillible. J'élaborais mille et une histoires venues de nulle part, faisant d'un brin d'herbe une clairière luxuriante. D'un simple caillou une montagne aux légendes plus fantastiques les unes que les autres. Je laissais ces contes emplis de créatures fabuleuses, d'endroits dont seuls quelques érudits en connaissaient le nom et le lieu m'envahir, faisant de ma jeunesse une aventure sans fin. Mais ce jour-là, aucun abîme de mon puit d'inspiration n'aurait pu inventer de toute pièce une telle histoire. Laissons de côté les "happy end" et les "il était une fois". Dans ce monde, ils ne sont qu'utopie. Et je me souviens...

Des coups de tonnerre semblaient retentir seconde après seconde, tandis que toute ma vie s'écroulait autour de moi. La demeure des Shest ne devenait que ruines et décombres, où à chaque instant la mort pouvait venir te cueillir. Non pas comme une douce caresse, un mirage enivrant et débordant de saveurs. Mais comme une bombe t'arrachant les moindres battements du cœur, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus. Jusqu'à ce que tu ne sois plus. Des silhouettes inconnues s'effondraient autour de moi dans un rictus de souffrance morbide. Palpitant, espérant inconsciemment une intervention divine ou n'importe quoi de miraculeux, je courais. Je n'avais de cesse de courir, parcourir cet endroit que j'avais considéré comme un chez-moi et qui s'était transformé en champs de bataille. Je percevais l'affolement fou dont mes parents étaient victimes, ne sachant à quel diable vendre leurs âmes. Tout ceci était à peine croyable. Il y a quelques heures je n'étais qu'un enfant ordinaire, promis à un avenir banal. En l'espace de quelques secondes, j'étais passé de moins que rien à l’Élu. Celui en qui un nombre incalculable de gens allait placer ses espoirs, ses attentes, ses exigences. Celui dont la vie était à présent menacée à chaque instant, victime d'une prophétie douteuse. A mes yeux. Le vacarme assourdissant me faisait oublier la notion du temps, et de l'espace. J'ignorais quelle pièce je traversais pour la énième fois. Je n'avais plus conscience de cette mort affamée, dévorant le peu de maison qu'il restait à présent. Tout s'était ralenti, ne produisant qu'un bruit sourd et incertain. Derrière un débris de ce qui fut une armoire, réfugié dans les bras de ma mère elle-même protégée par mon paternel, je priais pour que tout ce raffut cesse. Deux coups seulement me firent sortir de ma torpeur pour me plonger dans l'horreur. La protection parentale céda brusquement, me faisant faire face aux plus sombres des visages. Tels de vulgaires chiffons de papier, je voyais les corps inertes de ceux qui furent jadis mes parents soulevés, secoués, brandis comme des trophées sous les rires et les cris de joie des assaillants. Je n'eus ni le temps, ni le loisir de décider quel sentiment s'imposerait le premier. La haine. L'effroi, le dégoût. La vengeance. Je n'aperçus qu'une simple paire de chaussures avant de disparaître de cette scène macabre. J'étais parti comme j'étais venu. En silence.


Cela faisait des mois, et des mois que le désastre s'était produit, faisant de moi l'orphelin le plus convoité du moment. Beaucoup de choses m'avaient été dévoilé durant cette période, choses que je n'aurais jamais pensé possibles un jour. Seulement les faits étaient là, incontestables, violents. Mes parents avaient été assassiné à cause d'une prophétie dont j'étais le sujet central. La cible, que la flèche doit percer en son centre. L'injustice prit, un temps durant, le dessus sur la douleur que me causait cette perte. Pourquoi avaient-ils péri eux, alors que c'était moi l'objectif? Pourquoi avaient-ils du payer de leur vie un destin que je ne connaitrais sans doute jamais? Indignation. Je m'interrogeais de plus en plus sur ce monde parallèle, ce monde de la magie. Si je faisais parti de l'un des leurs, pourquoi n'avais-je pas droit au même enseignement? Pourquoi est-ce que je devais rester sans cesse sur le banc de touche, comme un objet précieux que l'on aurait peur d'abîmer? S'en était assez. « Je veux apprendre la magie. Je veux me battre. » Je subis l'hésitation, les tangentes de ceux qui furent finalement mes professeurs. Apprendre devenait incroyablement stimulant, me laissant affamé à chaque fin de journée. Je désirais en savoir plus, en connaître d'avantage. Et bien que je progressais à une allure folle, je n'étais pas satisfait. Les évènements n'assouvissaient pas ma soif intellectuelle et pratique.